jeudi 29 septembre 2011

Les hommes et les femmes ordinaires

Voici le texte que j'ai cosigné, publié sur Cyberpresse.ca le 16 septembre 2011, en réponse à un texte intitulé "Une Politique du XXIe siècles". La Presse a changé le titre: je préférais celui-ci ...

Les hommes et les femmes ordinaires

Christian Trempe, Philippe Leclerc, Marc Desnoyers, Élisabeth Émond, Miguel Tremblay, Christine Normandin
Venant de divers milieux professionnels, les auteurs signent ce texte à titre personnel.

Dans une lettre publiée dans la Presse du vendredi 9 septembre 2011 intitulée « Une politique du XXIe siècle », les auteurs plaident pour un changement de culture politique et pour un recentrage sur des enjeux qui seraient selon eux plus proche de la majorité des Québécois.

Nous croyons comme les auteurs qu'il faut mettre fin aux déficiences graves des réseaux de santé et d'éducation, ainsi qu’à la collusion et au copinage, qu’une meilleure gestion de la dette doit être effectuée, que la fiscalité doit être plus juste et respectueuse des efforts de chacun et qu’il faut des politiques minières, énergétiques et environnementales à l’image de notre temps.

Toutefois, les auteurs affirment que « les hommes et femmes ordinaires ne se réveillent pas la nuit pour réfléchir au statut constitutionnel de leur province », mais pour s'inquiéter de la réussite scolaire, de la santé, des routes, de la dette, de l'environnement, etc. Nous les rassurons: nous ne nous réveillons pas la nuit pour réfléchir au statut constitutionnel du Québec, et nous nous préoccupons probablement autant qu’eux de l'éducation, de la santé, des routes, de la dette et de l'environnement. Cette affirmation, selon laquelle il faut plus ou moins délaisser le débat constitutionnel au profit des « vrais affaires », c'est le sophisme de la fausse dichotomie dans toute sa splendeur. C'est affirmer qu'on peut seulement faire une chose OU l’autre à la fois, alors qu'on peut très bien faire les deux en même temps.

Évidemment, les hommes et les femmes ordinaires ne se préoccupent généralement pas du débat constitutionnel: le contraire serait même étonnant. Mais lorsque nous expliquons à ces mêmes personnes qu'un Québec indépendant serait probablement plus efficace, croyez-nous, ça les touche. Lorsque nous leur expliquons qu'il n'y aurait plus de dédoublement de ministère qui appauvrit inutilement les québécois, qu'il n'y aurait plus de double imposition, et qu'il n'y aurait plus de partie de ping-pong entre le Québec et le fédéral pour des enjeux importants, ça les intéresse.

Lorsque nous expliquons à ces Québécois que des États indépendants de taille similaire au Québec en terme de population, de PIB par habitant, et de niveau d'éducation s'en tirent très bien, que grâce au libre-échange notre dépendance au reste du Canada est plutôt faible, que les économies d’échelle sont noyées dans une mer de gaspillage, et surtout, lorsque nous leur expliquons que l'indépendance du Québec n'est pas une histoire de rancune, mais une simple volonté de s’affirmer, ils s'y retrouvent. Et nous ne leur avons même pas encore parlé de l'aspect culturel, pour lequel les affinités entre le Québec et le Canada ne semblent jamais avoir été aussi divergentes que dans les dernières années.

Le débat constitutionnel n'est en réalité que le préambule d'un profond débat sur l'indépendance du Québec. Indépendance qui elle, permettrait finalement une gestion plus saine, plus juste et plus efficace des politiques québécoises. Éviter ou se détourner de ce débat fondamental, c'est balayer sous le tapis l'essentiel, c'est agir à très court terme, c'est éteindre des feux en évitant de travailler à régler l’origine du problème de la situation actuelle du Québec. Parce que l'indépendance s'avère être le premier pas vers « un Québec sur le chemin de l'excellence et de la fierté », qui semble visiblement préoccuper les auteurs autant que nous.

Concernant le débat linguistique, alors que les auteurs plaident pour plus de pragmatisme en politique, ils dénoncent une prétendue « artillerie lourde » en matière linguistique alors que ce que les souverainistes demandent ne correspond généralement qu'à ce que tous les autres pays sur Terre font déjà. De plus, ils affirment que la culture ne doit pas être « obligatoire » mais doit-être « désirable ». Pourraient-ils nous expliquer comment un nouvel arrivant peut trouver désirable une culture minoritaire, dans un pays pour laquelle la langue de cette minorité est sur la voie de l'assimilation dans plusieurs parties de son territoire et où les élites respectent de moins en moins cette langue? À défaut d'une certaine intégration des nouveaux arrivants, qui serait évidemment facilitée par un Québec souverain, que suggèrent les auteurs? De toute évidence, moins de vœux pieux et plus de pragmatisme dans ce débat ne leur ferait pas de tort. La culture, nous n'avons jamais voulu la rendre obligatoire. Nous avons toujours cherché à la protéger et à la valoriser, comme on le fait naturellement dans tout pays du monde et jusqu'à présent, l'histoire nous a donné raison de le faire.

Dans une société comme le Québec, des gens engagés, il en faut plus. Mais affirmer dans la même lettre ne pas avoir d’idéologie à vendre alors que les auteurs en défendent clairement une, ça entache un peu leur crédibilité. Plus de franchise dans les débats politiques, n’était-ce pas l’essence de cette lettre?

http://www.cyberpresse.ca/place-publique/opinions/201109/16/01-4448389-quebec-independant-des-avantages-qui-touchent-les-gens-ordinaires.php
http://www.cyberpresse.ca/place-publique/opinions/201109/09/01-4432973-une-politique-du-xxie-siecle.php

samedi 23 avril 2011

Un cours de mathématique pour André Pratte

Dans une série de deux éditoriaux publiés le 9 juin 2010, André Pratte affirme que l'imposition aux allophones de fréquenter le cégep français, tel que proposé par le PQ, n'est pas nécessaire car la proportion d'allophones qui poursuivaient leurs études au cégep le faisaient en anglais dans une proportion de 37% en 2007, comparativement à 45,8% en 2001. Ainsi, puisque la proportion est passée de 45.8% à 37%, la situation "s'améliorerait".

Prenons une analogie automobile pour quelques instants. Si on se dirigeait vers un mur à 200 km/h, mais qu'on réussissait à ralentir la vitesse à 120 km/h, personne ne serait assez con pour affirmer qu'il y a "amélioration de la situation". Une réelle amélioration serait de réduire la vitesse à 0 km/h!

Or, on sait que la proportion de personne parlant surtout le français à la maison est de 81.8% au Québec (donc la proportion parlant surtout l'anglais à la maison est de 18.2%). Si la proportion d'allophones fréquentant le cégep en français était passée de 45.8% à 18.2%, on aurait certainement pu se réjouir. Mais passer de 45.8% à 37%, c'est passer d'une vitesse de 200km/h à 120km/h: il n'y a rien de réjouissant là-dedans!

Surtout que l'on sait que pendant à peu près la même période, la proportion d'allophones parlant surtout le français à la maison a reculé de 83.1% à 81.8% de 2001 à 2006. Vraiment rien de réjouissant.

http://blogues.cyberpresse.ca/edito/2010/06/09/me-no-speak-english/
http://blogues.cyberpresse.ca/edito/2010/06/09/me-no-speak-english-suite/
http://www.ledevoir.com/societe/167317/recul-historique-du-francais-au-quebec

mardi 5 avril 2011

Comment vaut Hydro-Québec?

Comment vaut Hydro-Québec?

Récemment, j'écoutais l'émission Club Social à TV5 et l'animateur François Parenteau recevait Éric Duhaime. À un moment au cours de l'entrevue, alors qu'ils discutaient de l'état de la dette du Québec, Parenteau a fait remarquer à Éric Duhaime que bien que la dette du Québec soit élevée, les actifs compensaient partiellement cette dette élevée. Et Duhaime de retorquer "J'ai rarement vu un gouvernement qui vend les poteaux de lumière ou les rues!"

Ma réaction immédiate fut "et Hydro-Québec?". Pourquoi Duhaime parle-t-il des poteaux de lumière alors que nous avons un producteur d’énergie relativement facilement évaluable?

Justement, quel est la valeur d'Hydro-Québec?

J'ai donc repris les 7 dernières années (2004 à 2010) de l'état des résultats du rapport annuel d'Hydro-Québec, disponible sur leur site internet (voir tableau 1), auquel j’ai effectué des ajustements au prix de vente moyen d’électricité nord-américain. En effet, j’ai pris l’hypothèse de la privatisation d’Hydro-Québec. Juste pour préciser, je ne suis pas nécessairement pour la privatisation d’Hydro-Québec : c’est une hypothèse de travail. Mon objectif ici est de calculer comment vaudrait approximativement Hydro-Québec si ce dernier était transigé sur la bourse de Toronto, et soumis aux mêmes prérogatives et contraintes qu’une entreprise privée. Dans les faits, Hydro-Québec pourrait réaliser cette valeur (et même plus) sans se privatiser.


À partir des données du tableau 1, j’ai effectué ces changements :

1. Taxes :
J’ai enlevé les diverses taxes payées à la ligne « Taxes » (Taxe sur les services publics, Taxe sur le capital, Taxes municipales, scolaires et autres) dans les charges d’Hydro-Québec, que j’ai remplacé par la ligne « Impôts » un peu plus bas. Cette ligne « Impôts » est l’impôt sur le bénéfice auquel toutes les entreprises au Québec sont soumises. De mémoire, l’hypothèse que les comptables prennent est 26.9 % du bénéfice avant impôts, ce qui représente le taux composite fédéral/Québec. J’ai toutefois gardé le montant de redevances hydrauliques payées depuis mi 2007. Pour 2007, 2006, 2005 et 2004, j’ai mis le montant de 2008.

2. Ajustement à la charge d’intérêt
Hydro-Québec a une cote AA- selon Standard & Poors. Cette cote est excellente. Elle paie un taux effectif long terme de 4.60% environ (en date du 4 avril 2011), soit environ le même taux effectif que la dette long terme du gouvernement québécois à la même date. À titre informatif, le taux effectif de la dette long terme du gouvernement du Canada est présentement de 3.75%. Les comparables les plus proches d’Hydro-Québec, soit Emera (qui possède entre autres Nova-Scotia Power) et Fortis inc (Colombie-Britannique), ont un taux effectif long terme de 5.25% et 5.15%, respectivement. J’ai donc ajusté la ligne « Frais financiers » en assumant que le financement était entièrement composé de dette long terme (techniquement, j’ai multiplié la ligne « Frais financiers » par le ratio 5.25/4.60). Il va s’en dire que cette hypothèse est conservatrice, la dette d’Hydro-Québec n’étant évidemment pas complètement à long terme.

3. Prix de vente par kWh :
Hydro-Québec publie à chaque année un document intitulé « Comparaison des prix de l’électricité dans les grandes villes nord-américaines ». Ce document détail les prix moyens de l’électricité en ¢/kWh pour la plupart des villes nord-américaines. J’ai pris le document des prix en vigueur au 1er avril 2010. Le document pour 2011, s’il est publié, sera probablement disponible d’ici peu. En attendant, j’ai utilisé le document de 2010. J’ai reproduit le tableau de la page 20 du document de comparaison des prix de l’électricité d’Hydro-Québec, en ne gardant que les marchés auxquels Hydro-Québec pourraient directement vendre de l’électricité, et donc entrer en compétition. Les données sont montrées au tableau 2.

Comme nous pouvons le constater, le Québec est l’endroit en Amérique du nord où le prix de l’électricité est le plus bas, pour quasiment toutes les catégories de consommateur.



Dans la documentation d’Hydro-Québec, je n’arrivais pas à trouver la consommation par catégorie de consommateur. Tout ce que j’ai pu trouver, c’est la consommation en GWh par catégorie de consommateur Résidentielle et agricole (59,534 GWh), Commerciale et institutionnelle (33,865 GWh) et Industrielle (68,439 GWh) (voir page 97 du rapport annuel 2010 d’Hydro-Québec; j’ai ignoré la catégorie « Autres »). À défaut d’avoir la consommation par catégorie de client tel que présenté dans le tableau 2, j’ai associé la consommation de la catégorie Résidentielle et agricole à la moyenne des catégories Résidentielle et Petite Puissance du tableau 2, associé la consommation de la catégorie Commerciale et institutionnelle à la moyenne des catégories Moyenne Puissance dans le tableau 2, et finalement associé la consommation de la catégorie Industrielle à la moyenne des catégories Grande Puissance dans le tableau 2 (Si quelqu’un connaît les données de consommation par catégorie tel que présentée dans le tableau 2, ou connaît une meilleure manière de calculer le prix moyen par kWh potentiel d’Hydro-Québec, je suis tout ouï!).

On peut constater que mon hypothèse n’est a priori pas mauvaise, car je calcul un prix moyen de 6.59 ¢/kWh selon l’hypothèse décrite plus haut, ce qui correspond approximativement au prix moyen observé en réalité (voir dernière ligne du tableau 1).

Les résultats pro forma sont montrés au tableau 3



Les comparables publiques

Ensuite, les comparables transigés en bourse. Il est plutôt difficile de trouver de pure comparable à Hydro-Québec au Canada. Premièrement, les entreprises productrices d’électricité cotées en bourse au Canada ont souvent d’autres activités (transport et vente de gaz naturel, production d’électricité à partir d’autres moyens que l’hydro-électricité). Aussi, même lorsque ces entreprises ont une grosse taille en termes de capitalisation, elles représentent au mieux, comme dans le cas de Canadian Utilities, le tiers de la capitalisation d’Hydro-Québec. Et ça, c’est avant les calculs de valeur d’entreprise, donc de capitalisation, que je m’apprête à faire. Hydro-Québec, c’est un colosse!

Le ratio P/E (Price-to-Earning ratio, soit le ratio prix par action sur le bénéfice net par action) de l’indice S&P TSX 60, soit l’indice des soixante plus grosses capitalisations de la bourse de Toronto se situe historiquement généralement entre 15 et 20. Si Hydro-Québec se transigeait sur la bourse, une entreprise établie, stable, avec risque mitigé, elle se transigerait probablement entre 15 et 20 fois les bénéfices nets.



Aussi, j’ai donc trouvé des comparables à Hydro-Québec transigés à la bourse de Toronto (voir tableau 4). Comme nous pouvons le constater, un ratio entre 15 et 20 est raisonnable. À titre informatif, Atco produit en effet de l’électricité, mais l’hydro-électricité ne semble pas être sa première source de revenu. Les revenus d’Atco semblent provenir davantage de la vente et de la distribution de gaz naturel, ainsi que dans la fourniture de services logistiques. En fait, Canadian Utilities, qui est dans le transport d’électricité principalement, est une des filiales d’Atco. (Enfin, si je me trompe, dites-le-moi.)

Donc nous en arrivons à l’évaluation. Pour la valeur minimale, j’ai multiplié le plus petit ratio P/E choisi (soit 15) par le plus petit bénéfice net pro forma des 7 dernières années (excluant les activités abandonnées). Pour la valeur maximale, j’ai multiplié le plus grand ratio P/E (soit 20) par le plus grand bénéfice net pro forma des 7 dernières années (toujours excluant les activités abandonnées). Les résultats sont au tableau 5. Pour le lecteur, j’ai calculé la variation de la juste valeur d'Hydro-Québec en variant l'hypothèse du prix de vente moyen de l’électricité de ±1 ¢/kWh dans l’état des résultats pro forma (tableau 3). De plus, par conservatisme, je n’ai délibérément pas actualisé le bénéfice net à l’inflation.



Conclusion

Selon mes calculs, Hydro-Québec vaudrait entre 103 et 143 milliards de $. Évidemment, un travail complet d’évaluation creuserait d’avantage dans les chiffres, aurait probablement eu accès à des données non-publiques de la direction, et n’aurait probablement pas eu à avoir recourt à des approximations. Sauf que lorsque j’ai eu à le faire, j’ai toujours pris l’hypothèse conservatrice. Bref, je ne serais pas surpris que la juste valeur, tel qu’évaluée par une firme d’expert, soit entre ces deux valeurs. Lorsqu’on  sait que la dette du Québec selon la méthode de l’OCDE est de 162,7 milliards (Mars 2009) ou 285,6 milliards si on inclut la part du Québec dans la dette du fédéral, ça remet disons les choses en perspective. Finalement, il convient de préciser qu’un Hydro-Québec privatisé rapporterait au moins 1 milliards d’impôt sur les entreprises à l’état québécois, ce qui n’est pas à négliger.

De plus, tel qu’expliqué précédemment, j’ai pris l’hypothèse de la privatisation pure d’Hydro-Québec. Or, Québec pourrait augmenter les tarifs d’électricité sans se privatiser. Puisque l’entreprise demeure propriété de l’état, elle n’aurait toujours pas à payer d’impôts à Ottawa, ce qui augmenterait considérablement sa valeur (valeur qui se matérialiserait au fil du temps).

Allez, je vous laisse sur cette réflexion. J’attends vos commentaires.

Sources:
http://www.hydroquebec.com/publications/fr/comparaison_prix/index.html
http://www.hydroquebec.com/publications/fr/rapport_annuel/index.html
http://lapresseaffaires.cyberpresse.ca/economie/quebec/201002/26/01-4255828-dette-le-quebec-au-5e-rang-dans-le-monde-industrialise.php

dimanche 13 mars 2011

Qui suis-je

Bon, j'ai enfin un blog!

Je suis un physicien, comptable agréé et CFA (Chartered Financial Analyst). Je travaille présentement dans une firme comptable, expertise financière. Donc non, je ne suis pas un vrai scientifique! Mais peut-être parce que j'ai le nez un peu moins dans le sujet depuis que je suis devenu comptable agréé, j'ai l'impression que la science m'intéresse plus maintenant. Surtout à travers le mouvement sceptique scientifique (à ne pas confondre avec le mouvement sceptique climatique), un forum scientifique disons plus engagé (et plus intéressant!).

Je m'intéresse aussi aux affaires publiques: je crois que les politiques publiques devraient être analysées à travers le même oeil critique que n'importe quelle affirmation scientifique. Évidemment, y voir clair est souvent ardu. J'attendrai donc vos commentaires et critiques avec impatience!

Les gens qui me connaissent savent aussi que je suis fou de vin. Je vais évidemment souvent en parler! :)

Et oui, je suis souverainiste. Vive le Québec Libre!